Depuis le début du Salon de l'automobile ce week-end, les média n'arrêtent pas de parler de voitures électriques, qui sembleraient être les vedettes du salon. On ne peut que se réjouir de voir enfin une alternative possible aux moteurs à combustion, fortement émetteurs de CO2 (n'oublions pas que les transports individuels représentent à peu près 1/6 des émissions mondiales de gaz à effet de serre), mise au centre du débat. Cependant, à trop présenter la voiture électrique comme LA solution miracle, qui serait disponible pour tous très rapidement, les journalistes risquent de créer un fort sentiment de déception si cette solution n'est pas au rendez-vous, ce qui est encore loin d'être certain à l'heure actuelle. Le but de cet article n'est pas de dénigrer cette technologie, dont on peut espérer qu'elle puisse contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, mais de tempérer un peu l'enthousiasme pour éviter les désillusions.
photo : Tesla Roadster (fogcat5, CC-BY-SA 2.0)
Je ne parlerai pas des problèmes d'autonomie, qui finiront pas se régler d'eux-même (actuellement l'autonomie d'un véhicule automobile "de série" est de l'ordre de 50 à 100 km, suivant les accessoires utilisés, tandis que la distance moyenne parcourue en une semaine par un automobiliste est d'un peu moins de 40 km). Pour la vitesse maximum, ce n'en est déjà plus un, la Tesla Roadster de la photo a une vitesse de pointe de plus de 200 km/h. Le prix finira également par le plus être un problème du fait de l'augmentation certaine à moyen terme du prix du pétrole et donc des carburants. Mais il y a deux autres difficultés majeures à résoudre, donc le grand public est peut-être moins conscient :
- La production d'électricité
Commençons par une lapalissade : une voiture électrique, ça roule à l'électricité. Le problème c'est que l'électricité on ne la ramasse pas sur le bord de la route, il faut la produire. Petit calcul simple d'ordre de grandeur au niveau français :
- une voiture "moyenne" a besoin d'environ 30 kWh pour parcourir 100 km (à condition de ne pas trop faire tourner climatisation et autres systèmes gourmands en énergie). Chaque automobiliste français parcours en moyenne autour de 13 000 km par an et aura donc besoin de 3,9 MWh.
- il y a en France environ 600 voitures pour 1000 habitants, soit autour de 36 millions.
→ l'énergie totale nécessaire sur un an pour faire rouler toute ces voitures serait de l'ordre de 140 000 GWh.
En supposant 15% de perte entre la recharge de la batterie et le réseau électrique, il va donc falloir produire 165 000 GWh d'électricité. Un réacteur nucléaire produit environ 8 000 GWh d'électricité par an, il va donc nous en falloir 20. Ou 40 grosses centrales à gaz ou charbon, ou quelques milliers d'éoliennes off-shore, ou quelques dizaines de km² de panneaux solaire. ça juste pour la France, pour passer à l'échelle de la planète, on peut à la louche multiplier tout ça par 25 à 30. Tout ça évidemment en supposant que la charge des batteries est bien répartie sur 24h.
Ce que je veux dire par ce petit calcul n'est pas que c'est impossible, mais qu'il est complètement déraisonnable de faire dès à présent la promotion des voitures électriques sans réfléchir très sérieusement à la manière de les alimenter. (ou de se servir un peu moins de véhicules individuels, mais c'est une autre histoire).
- Les matériaux utilisés dans les batteries
A priori aujourd'hui, la technologie la plus souvent choisie pour les batteries des voitures électriques est la technologie lithium-ion. Une batterie lithium-ion a une durée de vie en cyclage (charges et décharges successives) d'environ 1 millier de cycles. Il faut donc pour l'instant compter sur 3 batteries sur la durée de vie de la voiture. Disons 2 batteries en espérant des progrès dans leur fiabilité. Il faudra donc à terme 2 fois plus de batteries que de voiture. En nous plaçant à l'échelle française, 72 millions de batteries dans les voitures, et 4 millions vendues par an.
Si l'on s'en tient à la batterie lithium-ion, une batterie pour une voiture électrique nécessite de l'ordre de 9kg de lithium (chiffres du département américain à l'énergie, donc pour une voiture américaine. On peut supposer que ce chiffre serait plus faible pour une voiture de taille européenne, mais c'est un ordre de grandeur. La production de 4 millions de batteries par an nécessiterait donc 36 000 tonnes de lithium, et les 72 millions de batteries utilisées dans les voitures représenteraient 648 000 tonnes de lithium. et tout ça uniquement pour la France (sinon on peut aussi multiplier par 25 pour avoir une idée pour le monde entier).
A l'heure actuelle, la production mondiale de lithum est de 15 000 tonnes par an. gloups. il va donc falloir augmenter sérieusement tout ça. Sachant que les réserves mondiales exploitables de lithium (il y a énormément de lithium sur terre, mais pas une faible part seulement est exploitable) sont estimées à 11 millions de tonne par l'US Geological Survey. Pour la France tout va bien, mais il en faudrait 16 millions pour faire toutes les voitures à l'électricité à l'échelle mondiale. Il va donc falloir une sérieuse diminution de la quantité de lithium par batterie (difficile à atteindre) et une bonne filière de recyclage. Ou une autre technologie.
J'ai pris ici l'exemple du lithium, mais ce n'est pas le seul élément nécessaire dont la production mondiale ou les ressources sont limitées. Là encore, mon objectif ici n'est pas de dénigrer cette technologie, mais de montrer que nous en sommes encore à un stade ou une activité de recherche intense et nécessaire, et pas vraiment à un développement grand public. Qui espérons le toutefois arrivera un jour.
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