En ce moment, il faudrait habiter sur une île déserte pour ne pas avoir entendu parler du
rapport qu'a remis Michel Rocard quant à la possibilité de mettre (enfin) en place un minimum de fiscalité verte au travers d'une taxe carbone, ou plutôt "contribution climat-énergie" (
rapport en ligne).
D'une portée très limitée pour l'instant, ce rapport propose de ne taxer que les émissions liées aux
combustibles fossiles (et donc pas la totalité des
gaz à
effet de serre), soit environ 5 tonnes d'
équivalent CO2 par français, contre un total d'émissions annuelles de 10 tonnes d'eqCO
2 par français si l'on considère également les autres gaz concernés par le protocole de Kyoto. Il chiffre par ailleurs un "coût de la tonne de CO
2" initial à 32 euros, pour un objectif de 100 euros en 2030. 32 euros, c'est un montant pour le moins assez faible, même s'il reste nettement supérieur au cours de la tonne sur le
marché européen. Pour donner un ordre de grandeur, 32€ la tonne correspondent à environ 7-8 centimes par litre de carburant (en considérant qu'
une voiture consommant 6 litres au 100 km émet 150 g par km). Soit environ 50 € par an et par automobiliste "moyen", une goutte d'eau par rapport au coût de revient d'une voiture.
Le coût moyen par français a été estimé par l'ADEME à 160 euros par an, sachant que le rapport préconise que cette nouvelle taxation se fasse à pression fiscale constante. Pas de quoi fouetter un chat, donc. (et sans doute malheureusement largement insuffisant pour d'une part atteindre les
objectifs de réductions d'émissions de gaz à effet de serre nécessaires pour limiter l'ampleur du
réchauffement climatique, et d'autre part préparer l'économie et les ménages à la hausse à venir considérable des prix du pétrole à mesure que les réserves vont tendre à diminuer (voir :
pic pétrolier)).
Malgré ce manque d'ambition, qui avait toutefois le mérite d'initier un mouvement et de préparer une prise de conscience de la société, c'est encore manifestement trop pour la société, ainsi que les milieux politiques, médiatiques et syndicaux.
Depuis une semaine, difficile de trouver un article de journal pour défendre cette mesure : c'est l'hallali...
Quelques florilèges :
"la taxe carbone de Rocard suinte le mépris du peuple" (
marianne 2, par un militant PS)
"taxe carbone : s'en prendre au pétrole ne servira à rien" (
éco89, avec un raisonnement à faire honte à un collégien)
"la taxe carbone sous l'avalanche des critiques" (
le monde)
sans compter les "brillantes" interventions à la radio ou la télévision du président de l'automobile club de France sur le thème éternel de l'automobiliste vache à lait, ou des anti-impôts de tout poil.
Et au vu des réactions des lecteurs de ces journaux, difficile de croire qu'elle est mieux accueillie par le grand public... Jusqu'aux lecteurs de
actu-environnement, dont on pourrait penser qu'ils ont une "conscience écologique" et une conscience du problème un peu plus développée que la moyenne, qui eux aussi font feu de tout bois contre ce projet (voir les réactions à ces deux articles,
1 2).
Et évidemment, ce qui devait arriver finit par venir : dans un entretien au
figaro magazine, le ministre du budget Eric Woerth, dont on peut supposer qu'il est ici en service commandé, déclare que 32€ la tonne est un chiffre trop élevé, et commence à annoncer plutôt une valeur de ... 12€ la tonne, soit 2€ de moins que le cours de ce soir sur le marché européen. 12€ la tonne, autant dire rien du tout (60€ par an et par français sur l'assiette choisie pour l'instant, 120€ en comptant toutes les émissions de gaz à effet de serre), et sûrement pas assez ni pour avoir le moindre impact psychologique, ni pour inciter à investir dans des énergies alternatives. Qui abandonnera sa voiture pour économiser une quinzaine d'euros par an ? Qui changera de chaudière pour en économiser dix ?
Encore un coup d'épée dans l'eau. Mais un coup d'épée qui risque, étant données les réactions, de braquer une grande partie de la population contre toute idée de fiscalité verte, alors que l'urgence est plus que jamais de changer radicalement notre façon de concevoir l'économie. Mais il est tellement plus facile de demander "aux autres" de résoudre le problème sans avoir rien à faire par soi-même... Alors que dans 5 ans, 10 ans ou 15 ans, ce n'est sûrement pas de quelques centimes que le prix de l'essence aura augmenté, mais de
quelques dizaines... Et plus dur sera le choc que nous subirons pour avoir refusé de nous adapter progressivement !
retour au sommaire thématique